Chap.10/ LA FÉE SYLVESTRE DE GLAY

Publié le par Yohan

- Dis moi...qu'as-tu vu?!. de quoi te souviens-tu?.

- Tout cela est si loin messire!, je suis si vieux... et vous étiez si jeune!.

- Fais un effort...

- Le château n'était que ruine. Le crépitement des flammes, rongeant un fatras de poutres brisées, bravait un silence mortifère. Seul un fuligineux linceul, spectre d'une impérieuse demeure, recouvrait et animait ce paysage de désolation. Une méphitique odeur de chaire calcinée flânait sur les décombres au milieu desquels gisait votre père... notre suzerain....face contre terre, béatifié d'une auréole sanguinolente. Son pourpoint, bien que de riche étoffe, n'était plus qu'une vulgaire guenille et témoignait des pires violences. La posture de son corps narrait la façon dont il rendit son âme aux dieux. Rampant à terre, épuisé, main tendue vers votre mère, il voulut certainement la toucher une dernière fois, mourir au plus près d'elle. Mais le bras armé d'un cruel Damoclès vint rompre son ultime élan de cœur...

-... Eh bien! continue!... qu'y-a-t-il?!, pourquoi ces larmes?!

- C'est que...l'image de votre pauvre mère m'est revenue. La façon dont elle mourut....Oh!.... par pitié seigneur!, ne m'obligez pas a troubler votre esprit d'avantage... ni le mien!.

- Je t'en fais grâce, je sais quelles horreurs ces ignobles brigands, assoiffés de sang et affamés de chair, peuvent accomplir... Qu'est-il advenu ensuite?.

- C'est alors qu'un des villageois, cherchant a sauver ce qui pouvait l'être, hurla:

" Par ici!, une voix de femme crie à l'aide!, là, sous ces pierres!"

Cœurs battants, nous nous afférâmes telles des fourmis autours de ce tumuli...et après de rudes efforts, nous parvinrent à extirper un petit corps demeurant évanoui mais bien vivant!...c'était vous, seigneur Frédérich!. Vous n'aviez alors que trois ans.

- Et la femme, qui était-elle?!, l'avez-vous trouvé?!

- Nous ne trouvâmes aucune femme... et pourtant mon prince, vous ne devez votre salut qu'à cette mystérieuse voix!.

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En cette saison, un sublime écrin forestier irisé du rouge à l'orangé enveloppait le village de Glay. Quinze ans s'étaient écoulés depuis les ravages commis par une horde de sauvages ivres de destructions. Ces mêmes barbares ayant rendu le jeune Frédérich orphelin.

Deux épagneuls, Falstaff et Melchior, surexcités par la chasse à venir, trainaient au bout de leur laisse un maître-chien maintenant son équilibre vaille que vaille; ses drolatiques embardées amusaient la garde personnelle du prince!. Ce dernier, encore troublé par le récit de la veille, sursautait avec élégance au rythme de son destrier. Tirant sur la bride, il mit subitement fin au défilé.

- Mes amis!, veuillez me laisser seul.

Les hommes de garnison s'échangèrent quelques regards interloqués. Tout en mettant pied à terre, leur seigneur poursuivit:

- Je suis navré de vous congédier ainsi mais je n'ai point cœur à la chasse. Prenez mon cheval et retournez au château. J'ai besoin de solitude. Je serai rentré avant la nuit.

- Sire, cette combe est trop dangereuse pour que nous vous laissions seuls!, pensez aux loups, aux ours... sans parler des hommes de mauvaises grâces!.

- Je suis en âge de me défendre à présent!

- Pardonnez-moi votre altesse mais aucune bataille n'est venue confirmer votre enseignement du combat et...

- ASSEZ!!. Il y a quinze ans, je survivais à une mort certaine!, pensez-vous que les dieux m'aient épargné à la seul fin d'être offert en vulgaire pitance à je-ne-sais-quel animal?!... dusse-t-il être bipède?!. Ne croyez-vous pas qu'un destin plus grand m'attend?

Face aux dangers de ces temps, l'argument semblait faible. Mécréants comme animaux ne se soucient guère des plans divins!. Mais qui oserait contrarier le prince dans sa conviction quasi messianique?...

- Comme vous le souhaitez seigneur, gardez au moins Melchior avec vous, en cas d'attaque il vous sera utile.

- Si cela peut vous rassurer!... partez maintenant!.

Après une nouvelle hésitation, les soldats exécutèrent l'ordre seigneurial.

Le calme champêtre offrait une sérénité suffisante à la méditation.

"Quelle était cette voix bienfaitrice qui, jadis, m'enfanta des décombres?. Pourquoi fûs-je le seul rescapé de ce fléau barbare?... "

Soudain, poussant quelques grognements, Melchior l'extirpa de ses tourments. L'épagneul se raidit d'un coup. Son maître comprit: une menace approchait!. C'est alors qu'apparu un ours gigantesque!, le pas lourd et la démarche nonchalante. L'animal n'eut guère le temps d'apercevoir le prince déjà caché derrière un arbre!.

Mais Melchior ne répondit qu'à son instinct de chasseur!. Sans coup férir, aboyant à tout rompre, il se jeta contre l'ursidé, finit par lui bondir dessus et, d'un coup de gueule acharné, referma sa mâchoire sur le flanc du monstre!, ce dernier poussa un hurlement rageur, se débâtit, perdit l'équilibre.

Face à cette fureur animale, le jeune Frédérich demeurait prostré contre son arbre et semblait tétanisé autant par la situation que par ce qu'elle lui évoquait!. En effet, sa culpabilité l'interrogea: "aurais-tu eu le courage de défendre ton père et ta mère lors même qu'il te fait défaut en cet instant ?!". Tout en se redressant, le monstre ensanglanté obligea son agresseur à lâcher prise d'un violent coup de patte, lui brisant quelques côtes au passage. Le chien vola contre un tronc et retomba lourdement à terre. Le voila paralysé. Il voulut se relever mais ne fit que patauger dans son propre sang. Ses gémissements plaintifs n'atténuèrent en rien la frénésie de l'ogre à présent dressé sur ses pattes arrières, prêt a écraser le pauvre canidé de tout son poids. La culpabilité du prince transforma sa peur en colère et sa colère en courage!: il devait s'honorer de vaillance!. Bien plus que Melchior, c'est sa famille qu'il s'imaginait sauver!; il extirpa l'épée de son fourreau et, rageur, fonça contre ce barbare-animal. Mais le glaive n'effleura que légèrement la panse du carnivore!. Aveuglé par sa fougue et, surtout, n'ayant aucune autre expérience des armes que celle d'un professeur attentionné, le prince venait de porter une attaque pour le moins maladroite!. Nerveusement, d'une patte terriblement acérée, l'ours défigura son nouvel assaillant qui, hurlant de douleur, s'effondra au sol. Désarmé et troublé par le coup reçu, le jeune souverain crut sa fin venue. Mais le grizzli, au lieu d'achever sa proie, s'apaisa soudainement!.

Ce que vit le prince fût alors à peine croyable. La morsure laissée par l'épagneul se résorba miraculeusement!. Cette guérison eut lieu par la simple imposition d'une sinueuse branche de coudre, elle même tenue par une créature fantastique!. Le sang disparu sous l'épaisse fourrure du monstre qui, assagit, s'éloigna dans la forêt. L'être qui venait d'accomplir ce merveilleux prodige renouvela sa magie sur le moribond Melchior qui s'en trouva soudainement ragaillardi!. La vue du prince vacillait mais, lorsque la bienfaitrice se pencha sur lui, il la reconnu!.

Une couronne tissée de branches richement feuillues et colorées ceignait de long cheveux à la rousseur éclatante. Deux oreilles taillées en pointe s'en échappaient. Son visage, gracile, doux et radieux, formait un écrin incandescent où se lovaient de grands yeux scintillants tels deux emeraudes. Enfin, sa robe, longue et légère, irisée par une gamme de verts printaniers, convaincu définitivement le prince: cette rencontre était bien féérique!. Il était en présence de la sublime "Dame verte de Glay" dont les récits légendaires peuplaient son imaginaire infantile.

D'une maternelle caresse, la fée effaça toutes les plaies du prince!.

- Seigneur Frédérich, vous voila arrivé à l'âge mure... et pourtant vous semblez aussi fragile qu'à notre première rencontre.

- Notre ...première rencontre?. Que voulez-vous dire?.

Pour unique réponse, la fée lui offrit un généreux sourire. Aussitôt, le prince comprit:

- La voix féminine qui, enfant, me sortit des décombres... c'était vous?!. Et aujourd'hui, comme hier, je vous dois encore la vie!... Pourquoi?.

- Hier, votre père fut aussi charitable que brave. Qualités évanescentes chez un suzerain en ces temps de barbaries. Sa lignée ne pouvait s'éteindre au profit d'autres hommes animés par la seule cupidité.

- Et aujourd'hui?

- L'amour que j'attendais, l'amour que je ressens, l'amour que je vous porte.

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Le château de Glay verrouillait l'entrée d'une grotte d'où jaillissait les eaux de la Doue. Depuis la fenêtre d'une échauguette, le châtelain attendait le retour de sa féérique épouse et des deux héritiers nés de cette union.

Jadis, la dame verte avait accepté la demande en mariage du jeune Frédérich à l'unique condition de pouvoir s'absenter sept jours au cours de l'année sans que le prince ne la suive!. Le gage était bien faible en comparaison du serment amoureux qui lui était offert. Mais cette fois-ci, l'attente était plus difficile qu'à l'accoutumé. Pour la première fois, ses deux enfants accompagnaient leur mère dans son mystérieux pèlerinage. Elle souhaitait les baptiser selon les rites elfiques.

Nous ne savons que très peu de chose sur ce baptême animiste. On raconte juste qu'il plaçait l'initié sous les augures d'une trinité de couleur!. Le noir pour la terre, le vert pour la forêt et le bleu pour l'eau. Quiconque serait baptisé par ces trois éléments en deviendrait le maître. Ses fils quittèrent alors le château en simples humains, quoique dauphins d'un royaume, pour y revenir nantis de pouvoirs magiques leur offrant une ascendance sur toute faune et flore sylvestre!.

Le cœur du prince s'emplit de joie lorsqu'au loin apparue la silhouette de cette famille surnaturelle et tant aimée!. Aux chaleureuses retrouvailles succéda un banquet où les deux fils montrèrent les nouveaux dons qu'ils reçurent au cours de leur initiation. La dame verte fût heureuse de voir son mari comblé de joie là où la jalousie aurait pu le faire envier ces pouvoirs rendus inaccessibles par sa nature humaine. Elle ne s'était pas trompée: le prince était aussi sage et désintéressé que ne le fût son père. Cette sagesse se retrouverait dans ses descendances mi-homme mi-fée!.

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La colline de Montaillevey surplombait le village de Glay. De ce Golgotha, un vieil homme prêcha une parole nouvelle. Les deux héritiers du prince s'entretinrent longuement avec ce prophète. Séduis par son charisme et ses idées, ils rapportèrent à leur père tous ce que le vieil homme leur avait enseigné. Frédérich rencontra à son tour le vieillard:

- Comment te nommes-tu?

- Sincèrement, as-tu gravis cette colline pour faire connaissance ou pour m'en chasser?

- Aurais-je quelques raisons d'agir en ce sens?

- Toute révolution effraie les plus nantis...

- Ainsi, tu prétends renverser l'ordre de ma châtellenie? .

- Ne craint rien, ma révolution n'est que spirituelle, nullement temporelle!. Mon royaume est bien plus grand que ce que ta vanité ne pourra jamais conquérir...et il demeure accessible à tous!.

- Je n'ai nul vanité mais je n'apprécie guère que l'on sème le trouble dans l'esprit de mon peuple et surtout de mes fils.

- En fait de trouble je les veux libérer...mieux encore: je veux les sauver!. Tes fils furent baptisés sous des augures païennes, impies, un animisme dépassé, j'oserais dire: blasphématoire!

- Mesure tes paroles!, sache que ce culte de la nature apporte force et prodigalité à qui sait lui être fidèle et respectueux.

- Nul autre que dieu est le créateur de cette nature!; le reste n'est que billevesée, magie...

- Prend garde!, cette magie m'a sauvé la vie par deux fois!.

- Ce que j'apporte à tes enfants vaut bien plus que cela!

- De quoi parles-tu?

- La vie éternelle!, non sur cette terre mais dans un royaume au-delà de celui-ci; baptise-les au nom de Jésus Christ et ils seront sauvés.

- Si je refuse?

- Notre bon roi Charlemagne s'en chargera. Par un récent édit, il oblige tout homme à la conversion chrétienne sous peine de mort. Soit tes fils abjurent leurs idoles païennes, soit le glaive royal précipitera leur destin. Crois bien que je réfute ces manières d'autant que tes fils, même s'ils refusent d'oublier leurs croyances en totalité, semblent enclins à cette conversion!.

- Ils m'ont paru plus troublés que convaincus par tes idées. Ils ne sont pas encore en âge de raisonner. Un esprit juvénile reste faible et malléable.

- Leur enseignement achevé, ils te remercieront de les avoir confié à ma catéchèse.

- Je ne peux les obliger à désavouer le culte de leur mère.

- Tu le dois... ou ils mourront!.

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Ce jour là, jamais l'église de Glay n'avait connu pareille affluence!. Toute une population recevait sa bénédiction...par conviction ou par crainte!. Le soleil, traversant un somptueux vitrail, irisait le baptistère d'une mosaïque de couleurs chatoyantes. Face à l'autel, les deux communiants princiers, mains jointes, attendaient la divine onction.

Sur le visage de leur père se lisait une certaine anxiété. A son retour de pèlerinage, comment son épouse allait-elle réagir?. Allait-elle accepter ce monothéisme?, elle qui représentait un culte païen composé de plusieurs dieux!.

Un prélat, dépêché expressément de Blamont pour l'occasion, fit retentir sa voix avec force pour émerger le prince Frédérich de ses tumultueuses rêveries:

- Sire! Sire!!... Etes vous des notres?!

- Oui, pardonnez-moi...

Une sourde rumeur anima l'assemblée. A vrai dire, les habitants de Glay craignaient également le courroux de la féérique épouse et l'anxiété du prince ne les rassurait guère.

Cette angoisse devint terreur lorsque les portes de l'église s'ouvrirent avec fracas et résonnèrent dans la nef en coup de tonnerre!. La dame verte, figée entre les deux portes encore tremblantes, affichait un visage déformé par la colère!:

- Prince Frédérich!, par deux fois je t'ai sauvé!, par deux fois j'ai assuré la descendance de ton trône!, je t'ai offert mon amour, ma confiance, ma protection!. Voila la seule reconnaissance que tu me portes?!. Tu pervertis mes enfants!, tu souilles des rites ancestraux par cette nouvelle religion!. Et vous!, misérables mortels!!, habitants de cette contrée viciée!, est-ce la foi ou l'épée qui vous pousse à cette infamante reptation?!. Vous souhaitez tourner le dos à votre mère nourricière?!, prétendre à une vie éternelle en me désavouant?!, soit!, je vous abandonne à la grâce de votre nouvel idole!. Quant à vous, mes chers fils, pour cet égarement, je n'accuserai que votre naïveté infantile, rejoignez-moi à présent!, quittons ce monde voué à sa perte!.

Penaud, les deux garçons obéirent. Le prince, qui en un instant venait de tout perdre, se récria:

- Attends!, tu ne peux m'enlever mes enfants!. J'ai accepté leur conversion pour leur offrir l'éternel jouissance des dons que tu leur a donné!.

- Par cette alliance chrétienne, cette religion intolérante des autres cultes, tu m'assassines!. Cette culpabilité, tu allais l'imposer à nos enfants!. Pire encore!, tu les condamnais a porter ce fardeau par delà la mort!....dans cette éternité que ce vieillard t'as promis!. A ton tour d'en assumer les conséquences ici-bas...et pour la fin des temps!.

Sur cette sentence, la dame verte et ses deux enfants quittèrent l'église. Liais et Liaises semblaient aussi désemparés que leur prince!. Abasourdit, Frédérich s'effondra à genoux, une douleur atroce venue du plus profond de son âme perla sur ses joues avant d'exulter en lamentation. Le curé blamontais voulut le réconforter en lui offrant quelques sages paroles chrétiennes, mais Frédérich le repoussa violemment!.

A quoi lui servirait une éternité dans un paradis quelconque sans l'amour de ses proches?!.

On raconte alors que la dame verte et ses deux fils se rendirent à la source de la Doue, réduisirent en poussière le château du prince et disparurent à jamais dans cette grotte du "Bout du monde".

Quant au seigneur Frédérich, il refusa d'abjurer le culte de sa féerique épouse et périt en conséquence comme hérétique!. Les monuments païens furent rasés et remplacés par d'autres chapelles cruciformes. Et pourtant, malgré ce désaveu des dieux sylvestres, la dame verte finit par apaiser sa rancune envers le genre humain. Aujourd'hui encore, elle continue de protéger les habitants de Glay et autres voyageurs égarés.

Chap.10/ LA FÉE SYLVESTRE DE GLAY
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Publié dans LÉGENDE

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